Qu’est-ce qu’une coopérative de travailleurs ?

Avant de nous lancer dans les détails concrets de la création d’une coopérative, il est bon de mettre au clair quelques termes de base. Dans un monde du travail où les coopératives sont relativement rares, certains des concepts et des mots employés peuvent être bizarres ou déroutants. Clarifions tout ça !

Une coopérative est une entreprise détenue et dirigée par les personnes qui utilisent ses services. Contrairement à une entreprise classique, qui redistribue les bénéfices à ses propriétaires en fonction de leur investissement, une coopérative rétribue ses propriétaires en fonction de leur usage de la coopérative. Et contrairement à une entreprise où les propriétaires ont du pouvoir en fonction de la quantité d’argent investie, une coopérative fonctionne sur une base démocratique, avec un vote par personne, quel que soit l’investissement. (Pour une définition plus formelle, voir les Septs Principes Coopératifs sur la page de l’Alliance Coopérative Internationale.)

Il y a trois grand types de coopératives. Vous connaissez peut-être déjà les coopératives de producteurs – comme les grandes coopératives agricoles ou laitières – dans lequelles des producteurs indépendants regroupent leurs forces pour fabriquer, distribuer ou vendre leurs produits en commun. Le but de la coopérative est de fabriquer, distribuer ou vendre les produits de ses membres, en fonction de leur apport à la coopérative. Les producteurs élisent généralement un Conseil d’Administration, qui dirige la coopérative et embauche des salariés pour la faire fonctionner.

Vous avez peut-être aussi en tête les coopératives de consommateurs – comme les mutuelles de santé, les copropriétés immobilières, ou les supermarchés coopératifs – où les membres sont les consommateurs des biens ou des services fournis par la coopérative. L’objectif de la coopérative est de fournir des biens ou des services de qualité et de les vendre à prix bas aux consommateurs. Les bénéfices reviennent aux membres sous forme de rabais (en fonction de ce qu’ils ont acheté), et les consommateurs élisent un Conseil d’Administration qui gère la coopérative pour eux.

Mais ce guide parle des coopératives de travailleurs : des entreprises détenues et dirigées par les personnes qui y travaillent. Les travailleur·se·s-membres détiennent l’entreprise, et récupèrent les bénéfices en fonction de leur quantité de travail. Ils contrôlent la coopérative, éventuellement par l’élection d’un Conseil d’Administration qui gère la vie de l’entreprise et recrute des cadres pour organiser son travail. Cette structure hiérarchique est courante dans les moyennes et grandes coopératives, tout comme dans les autres secteurs coopératifs. Cependant les petites coopératives sont généralement gérées collectivement.

Un collectif est un groupe de personnes qui prennent des décisions en démocratie directe. Plutôt que d’utiliser la démocratie représentative en élisant un Conseil d’Administration pour prendre les décisions, un collectif va simplement se réunir et prendre directement des décisions. Les collectifs peuvent prendre des décisions à la majorité, ou par consensus, ou avec n’importe quel autre processus de décision. Ils fonctionnent généralement avec très peu de hiérarchie. Bien que la plupart des collectifs ne soient pas des coopératives de travailleurs (parce qu’ils font autre chose que de gérer une entreprise, ou qu’ils ne sont pas détenus par les travailleurs), et que beaucoup de coopératives ne soient pas des collectifs (parce qu’ils excercent leur pouvoir de contrôle avec des représentants et des niveaux hiérarchiques), il arrive très souvent que les petites coopératives de travailleurs soient aussi des collectifs. Une coopérative est une forme de propriété et de gestion. Un collectif est une forme d’organisation.

Une coopérative de travailleur est-elle à but lucratif ou non-lucratif ? Ces mots peuvent avoir plusieurs sens qui entraînent beaucoup de confusion, c’est pourquoi on utilise parfois dans le secteur coopératif le mot « excédent » au lieu de « bénéfices » ou « profit ». Il est parfaitment exact que des coopératives de travailleurs visent à faire fonctionner des entreprises saines – ce qui signifie générer des recettes, payer toutes les dépenses, et qu’il leur reste encore quelque chose en sus (l’excédent). Mais le but lucratif renvoie généralement à une entreprise détenue par un ou plusieurs investisseurs, qui emploient d’autres personnes pour faire fonctionner leur entreprise, le but étant de faire du bénéfice (pour les investisseurs). Si « à but lucratif » veut dire que de l’argent supplémentaire est nécessaire pour rétribuer les investisseurs (qui ne travaillent pas pour l’entreprise), il est vrai qu’une coopérative ne dégage pas de profits, parce qu’elle n’a pas de propriétaires extérieurs. D’un autre côté, « à but non-lucratif » se réfère généralement à des associations à visée éducative, caritative, ou qui visent à fournir d’autres services, et qui doivent ré-investir leur excédent dans leurs propre activité, pour pouvoir bénéficier par exemple d’exonérations fiscales. Les coopératives de travailleurs n’ont souvent pas des missions entièrement caritatives ; et l’exigence de propriété par les travailleurs n’a pas vraiment de sens pour des associations, qui n’ont pas de propriétaire au sens strict. Partant de ces définitions, une coopérative de travailleurs n’est à but ni lucratif, ni non-lucratif. Mais il est facile d’imaginer les coopératives de travailleurs comme étant à mi-chemin entre ces deux catégories : d’un côté elles visent à dégager un excédent en faisant fonctionner une entreprise commerciale, de l’autre elles reversent cet excédent aux travailleurs ou le ré-investissent, plutôt que de distribuer aux investisseurs extérieurs. C’est pour cela que des coopératives se décrivent parfois comme « à visée non-lucrative ».

Les coopératives de travailleurs ont-elle un statut juridique particulier ? De nouveau les mots peuvent avoir plusieurs sens, qui varient substantiellement d’un droit national à un autre. Les ingrédients dont vous avez besoin pour monter une coopérative de travailleurs (la propriété par les travailleurs, le contrôle démocratique, les bénéfices distribués en fonction de l’activité, etc.) peuvent être traduits dans des structures juridiques spécifiques (par exemple SCOP ou SCIC), mais aussi dans n’importe quelle entité juridique traditionnelle: SAS, SARL, etc. Il est même possible de s’approcher des critères coopératifs avec une association ou une société unipersonnelle. Les status coopératifs spécifiques – souvent un mélange des régimes lucratifs, non-lucratifs et associatifs – décrivent une structure coopérative qui doit explicitement être structurée par des critères coopératifs, et qui peut éventuellement obtenir certains avantages fiscaux, le droit d’utiliser une dénomination reconnue comme « SCOP », et d’autres avantages. Certaines coopératives de travailleurs choisissent d’utiliser ces régimes spécifiques. D’autres font autrement.

Et donc, quand quelqu’un vous demande « vous êtes une coopérative ? », cette personne peut vouloir dire « votre entreprise est-elle détenue et contrôlée par les employés , en suivant les principes coopératifs ? », ou elle peut vouloir dire « votre entreprise est-elle une SCOP ou une SCIC ? ». Ou encore même « votre entreprise est-elle un collectif ? » Particulièrement au moment de monter une nouvelle entreprise, il est important d’être sûr que tout le monde parle de la même chose.

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